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Le Zelandoni de la Septième Caverne du Sud emmena les deux femmes sur le sentier qui conduisait à la grotte sacrée. Des torches fichées dans le sol le long du chemin les guidaient et Ayla se souvint soudain de la fois où elle avait suivi les lampes et les torches jusque dans la grotte tortueuse au Rassemblement du Clan avant de tomber sur les Mog-ur. Sachant qu’elle n’était pas censée se trouver là, elle s’était arrêtée juste à temps et cachée derrière une énorme stalagmite, mais Creb savait qu’elle était là. Cette fois-ci, elle comptait parmi les participants.

Cela faisait une bonne marche jusqu’à la caverne sacrée et, à leur arrivée, tous étaient essoufflés. La Première se félicitait par-devers elle d’avoir entrepris ce Voyage maintenant : dans quelques années, elle n’en aurait plus été capable. Ayla savait que ce n’était pas facile pour elle et elle avait sciemment ralenti le pas. Ils surent qu’ils approchaient du but en apercevant un feu droit devant eux et peu après ils virent plusieurs personnes debout ou assises autour.

Ils furent accueillis avec enthousiasme, puis restèrent là à attendre en bavardant l’arrivée de quelques autres. Apparut bientôt un groupe de trois dont faisait partie Jonokol. Il s’était rendu au camp d’une autre Caverne que le Zelandoni avait aussi envie d’orner de peintures. Ils furent aussi salués par tous, puis le Zelandoni de la Septième Caverne s’adressa à eux :

— Nous avons la chance d’avoir avec nous la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Mère. Je ne crois pas qu’elle ait déjà participé à l’une de nos Réunions d’Été et sa présence rend l’événement particulièrement mémorable. Son acolyte et le Zelandoni, son ancien acolyte, l’accompagnent et nous avons le plaisir de les accueillir aussi.

Il y eut des paroles et des gestes de bienvenue, puis le Zelandoni de la Septième Caverne reprit :

— Mettons-nous à l’aise autour du feu, nous avons apporté des petits coussins pour nous asseoir. J’ai là une infusion spéciale pour qui souhaite la goûter. Elle m’a été donnée par une Zelandoni loin d’ici, au sud, sur les contreforts des hautes montagnes qui délimitent notre territoire. Elle y a gardé une grotte très sacrée durant de longues années et la restaure fréquemment. Toutes les grottes sacrées sont des matrices de la Grande Mère, mais dans certaines Sa présence est si forte que nous les savons particulièrement proches d’Elle ; la sienne est l’une de celles-là. Je crois que la Zelandoni qui l’entretient pour la Mère l’a si bien satisfaite que la Mère ne veut pas qu’elle s’en éloigne.

Ayla remarqua que Jonokol était très attentif aux paroles du Zelandoni de la Septième Caverne et pensa que c’était peut-être parce qu’il voulait apprendre comment plaire à la Mère afin qu’Elle reste à proximité de la Grotte Blanche. Il ne l’avait jamais dit explicitement, mais elle savait qu’il la considérait comme sa grotte sacrée à lui. Elle aussi.

La personne qui avait mis dans le feu des pierres à cuire les retira avec des pinces en bois recourbé, puis les laissa choir dans un récipient tressé serré, rempli d’eau. Le Zelandoni de la Septième ajouta alors le contenu d’une pochette en cuir dans l’eau fumante. L’odeur se répandit alentour et Ayla essaya de reconnaître les ingrédients. C’était apparemment un mélange, aux odeurs familières. Une dominante de menthe pour déguiser sans doute celle d’un autre ingrédient ou masquer quelque relent ou goût déplaisant. Après avoir laissé macérer un moment, le Zelandoni de la Septième versa un peu de la mixture dans deux tasses de tailles différentes.

— C’est un breuvage puissant, dit-il. Je l’ai essayé une fois et je me garderai d’en reprendre une quantité importante. Il peut vous mener très près du Monde des Esprits, mais je crois que vous pouvez tous y goûter, avec modération. L’un de mes acolytes s’est proposé d’en prendre une dose plus forte afin de nous ouvrir la voie, de nous servir de canal.

La grande tasse passa de main en main et chacun en but un peu. Lorsqu’elle arriva à la Première, celle-ci la huma d’abord, prit une petite gorgée qu’elle fit tourner dans sa bouche pour tenter d’en distinguer les éléments. Puis elle en but encore un peu et tendit la tasse à Ayla. Celle-ci avait observé la Première attentivement et fit comme elle. Le breuvage était en effet très puissant. Son arôme seul était déjà fort et lui tourna légèrement la tête. La gorgée lui emplit la bouche d’un goût prononcé pas complètement déplaisant, sans pour autant qu’elle éprouvât l’envie d’en boire tous les jours. En avalant la petite quantité de liquide elle se sentit presque défaillir. Elle aurait aimé en connaître les ingrédients.

Après avoir goûté au breuvage, tous regardèrent l’acolyte du Zelandoni de la Septième boire la petite tasse. La jeune femme ne tarda pas à se mettre debout et à se diriger d’un pas incertain vers l’entrée de la caverne sacrée. Le Zelandoni de la Septième s’empressa de se lever et lui donna la main pour l’empêcher de perdre l’équilibre. Les autres Zelandonia présents les suivirent dans la grotte, plusieurs portant des torches allumées. L’acolyte se dirigea presque tout droit vers la partie de la caverne où se trouvaient les chevaux peints qui entouraient les gros points, bien qu’elle fût loin à l’intérieur. Plusieurs de ceux qui portaient les torches s’approchèrent de la paroi pour les éclairer.

Ayla ressentait les effets de la petite quantité de breuvage et se demandait ce qu’éprouvait l’acolyte, qui en avait absorbé bien davantage. La jeune femme alla jusqu’à la paroi, posa les deux mains dessus, puis s’en rapprocha et colla sa joue contre la pierre rugueuse comme si elle essayait de pénétrer à l’intérieur. Elle se mit alors à pleurer. Son Zelandoni passa le bras autour de ses épaules pour la calmer. La Première s’avança vers elle de quelques pas et entonna le Chant de la Mère :

 

Des ténèbres, du Chaos du temps,

Le tourbillon enfanta la Mère suprême.

Elle s’éveilla à Elle-Même sachant la valeur de la vie,

Et le néant sombre affligea la Grande Terre Mère.

La Mère était seule. La Mère était la seule.

 

Tout le monde écoutait. Ayla sentit qu’une tension dans ses épaules commençait à se dénouer. Le jeune acolyte cessa de pleurer. Quand ils reprirent l’air, d’autres se joignirent au chœur lorsqu’ils arrivèrent au passage où la Mère mettait au monde les enfants de la Terre :

 

Chaque enfant était différent, certains petits, d’autres grands.

Certains marchaient, d’autres volaient, certains nageaient, d’autres rampaient.

Mais chaque forme était parfaite, chaque esprit complet.

Chacun était un modèle qu’on pouvait répéter.

La Mère le voulait, la Terre verte se peuplait.

 

Les oiseaux, les poissons, les autres animaux,

Tous restèrent cette fois auprès de l’Éplorée.

Chacun d’eux vivait là où il était né

Et partageait le domaine de la Mère.

Près d’Elle ils demeuraient, aucun ne s’enfuyait.

 

Lorsque la Première eut fini, l’acolyte était assis sur le sol devant la paroi peinte. Plusieurs autres, assis par terre eux aussi, avaient l’air passablement hébétés.

Quand la Première retourna auprès d’Ayla, le Zelandoni de la Septième se joignit à elles.

— Ton chant a calmé tout le monde, dit-il à voix basse avant d’ajouter, en indiquant ceux qui étaient assis : Je crois qu’ils ont bu plus d’une gorgée. Il se peut que certains s’attardent ici un moment. Mieux vaut que je reste jusqu’à ce que tous soient prêts à repartir, mais vous n’êtes pas tenues de le faire.

— Nous allons rester encore un peu, répondit Celle Qui Était la Première en remarquant que d’autres s’asseyaient.

— Je vais chercher des coussins, dit le Zelandoni de la Septième.

Quand il revint, Ayla était sur le point de s’asseoir, elle aussi.

— Il me semble que l’effet du breuvage ne cesse de s’amplifier, dit-elle.

— Je crois que tu as raison, confirma la Première. Il t’en reste ? demanda-t-elle au doniate de la Septième. J’aimerais en reprendre, pour voir, quand nous serons de retour chez nous.

— Je vais vous en donner, vous pourrez l’emporter.

En s’asseyant sur le coussin, Ayla regarda de nouveau la paroi peinte. Elle paraissait presque transparente. Elle avait l’impression que les animaux voulaient en sortir et s’apprêtaient à vivre dans ce monde. Plus elle regardait, plus elle se sentait attirée par le monde caché de l’autre côté de la paroi. Il lui sembla qu’elle se trouvait en lui ou plutôt au-dessus de lui.

De prime abord, il ne lui parut guère différent de son monde à elle. Des rivières coulaient au milieu de steppes herbeuses et de prairies et coupaient à travers de hautes falaises, des arbres poussaient dans les zones protégées et des forêts-galeries le long des berges. Des animaux de toutes sortes parcouraient le pays. Mammouths, rhinocéros, mégacéros, bisons, aurochs, chevaux et antilopes saïgas préféraient les régions d’herbages dégagées ; les cerfs nobles et d’autres cerfs d’espèces plus petites aimaient le couvert de quelques arbres, rennes et bœufs musqués étaient bien adaptés au froid. Il y avait toutes les variétés d’autres animaux et oiseaux ainsi que des prédateurs, de l’énorme lion des cavernes à la petite belette. Elle savait qu’ils étaient là plus qu’elle ne les voyait, mais tout semblait différent, comme étrangement inversé. Bisons, chevaux et cerfs n’évitaient pas les lions, ils les ignoraient. Le paysage était bien net, et quand elle regarda le ciel, elle vit la lune et le soleil, puis la lune cacha le soleil, qui devint noir. Elle sentit soudain qu’on la secouait par l’épaule.

— Tu as dû t’endormir, lui dit la Première.

— Peut-être, mais il me semblait être ailleurs, répondit Ayla. J’ai vu le soleil devenir noir.

— C’est possible. Il est temps de partir. Le jour se lève.

Une fois sorties de la caverne, elles virent plusieurs personnes se réchauffer autour du feu. Un Zelandoni leur tendit à chacune une tasse de liquide chaud.

— Ce n’est qu’une boisson matinale, dit-il en souriant. L’expérience a été nouvelle pour moi, très forte, ajouta-t-il.

— Pour moi aussi, dit Ayla. Comment va l’acolyte qui a bu une tasse entière ?

— Elle en ressent encore les effets ; ils durent très longtemps, mais on veille sur elle.

Les deux femmes retournèrent au camp. Bien qu’il fût très tôt, Jondalar était réveillé. Ayla se demanda s’il s’était couché de toute la nuit. Il sourit et parut soulagé par le retour d’Ayla et de la Première.

— Je ne pensais pas que vous ne reviendriez pas de la nuit, dit-il.

— Nous non plus, répondit Ayla.

— Je vais à la maison des Zelandonia ; peut-être as-tu envie de te reposer aujourd’hui, Ayla, dit la Première.

— Oui, mais pour l’instant, je veux manger. J’ai faim.

 

 

Les participants au Périple de Doniate ne quittèrent la Réunion d’Été des Zelandonii du Sud que trois jours après, pendant lesquels Amelana connut une aventure malheureuse. Un homme charmant, plus âgé qu’elle et apparemment de haut rang, avait insisté pour qu’elle reste et devienne sa compagne ; elle était tentée d’accepter. Elle déclara à la Première qu’elle avait besoin de lui parler, ainsi qu’à Ayla. Elle leur exposa les raisons pour lesquelles elle devait rester et s’unir à cet homme qui, de toute évidence, la voulait tant ; elle le fit avec force cajoleries et sourires, comme si elle éprouvait le besoin d’obtenir leur permission et leur accord. La Première savait ce qui se passait et lui parla en ces termes :

— Amelana, tu es une femme à présent, tu as déjà eu un compagnon et tu es malheureusement devenue veuve ; tu seras bientôt mère et tu devras t’occuper de l’enfant que tu portes. La décision t’appartient. Tu n’as pas besoin de ma permission, ni de celle de qui que ce soit. Mais puisque tu as demandé à me parler, je suppose que c’est pour chercher conseil.

— Oui, confirma Amelana.

Elle paraissait surprise que ce soit si facile.

— As-tu déjà rencontré les gens de sa Caverne ou certains de ses parents ? s’enquit la Première.

— En quelque sorte. J’ai pris des repas avec certains de ses cousins et cousines, mais il y a eu tant de festins et de fêtes que nous n’avons pas pu manger avec ceux de sa Caverne, expliqua Amelana.

— Te souviens-tu de ce que tu as dit quand tu as demandé à participer à ce Voyage ? Tu as dit que tu voulais rentrer chez toi auprès de ta mère et de ta famille pour mettre au monde ton bébé. De plus, tu n’as pas été contente quand Jacharal est allé fonder une autre Caverne avec amis et parents, en partie du moins, j’en suis sûre, parce que tu ne les connaissais pas très bien. Tout recommencer en un lieu nouveau les stimulait, mais toi, tu avais déjà quitté ce qui t’était familier et tu te trouvais dans un endroit nouveau. Tu voulais t’établir et qu’on s’intéresse à ton bébé, n’est-ce pas ? dit la Première.

— Oui, mais lui est plus âgé. Il est bien installé. Il n’a pas l’intention de fonder une nouvelle Caverne. Je le lui ai demandé.

La Première sourit.

— Tu lui as au moins posé cette question. C’est un homme charmant et séduisant, mais il est plus âgé. Tu ne t’es pas demandé pourquoi il souhaitait maintenant avoir une nouvelle compagne ? Lui as-tu demandé s’il en avait déjà une ? Ou s’il n’en avait jamais eu ?

— Pas précisément. Il a dit qu’il avait attendu de trouver celle qu’il fallait, répondit Amelana, le sourcil froncé.

— Celle qu’il fallait pour aider sa première femme à s’occuper de leurs cinq enfants ?

— Sa première femme ? Leurs cinq enfants ?

Les sourcils d’Amelana se froncèrent davantage.

— Il n’a pas parlé d’enfants…

— Tu l’as interrogé à ce propos ?

— Non, mais pourquoi ne m’en a-t-il rien dit ?

— Parce qu’il n’avait pas à le faire, Amelana. Tu ne lui as pas posé la question. Sa compagne lui a demandé de trouver une autre femme pour l’aider, mais tout le monde sait ici qu’il a déjà une femme et ses enfants au foyer. Comme elle est la première, c’est elle qui aura le prestige et la parole. Quoi qu’il en soit, c’est elle qui donne du prestige à cet arrangement. Lui n’a guère que sa belle allure et ses manières charmantes. Nous partons demain. Si tu décides de rester avec lui, personne ici ne te ramènera à la Caverne de ta mère.

— Je ne reste pas, rétorqua Amelana avec colère. Mais pourquoi m’a-t-il joué ce tour ? Pourquoi ne m’a-t-il rien dit ?

— Tu es séduisante, Amelana, mais tu es très jeune et tu aimes être l’objet d’attentions. Il trouvera sans doute une deuxième femme, mais elle ne sera ni jeune ni jolie et personne ne prendra sa défense une fois que nous serons partis. La femme qu’il trouvera sera sans doute plus âgée que toi et peut-être pas très belle. Elle aura peut-être déjà un ou deux enfants à elle ou, s’il a de la chance, sera incapable d’en avoir et sera contente de tomber sur un homme disposé à la prendre au sein de sa famille. Je suis certaine que c’est ce qu’espère sa première compagne et non une femme jeune et jolie qui partira avec le premier venu qui aura mieux à lui offrir. Je suis sûre que c’est ce que tu ferais, quitte à perdre ta réputation.

Les paroles franches et directes de la Première ébranlèrent Amelana, qui se mit à pleurer.

— Suis-je vraiment si mauvaise ? se lamenta-t-elle.

— Je n’ai pas dit que tu étais mauvaise, Amelana. J’ai dit que tu étais jeune, et comme toutes les jeunes femmes séduisantes, surtout celles qui jouissent d’une position élevée, tu es habituée à arriver à tes fins. Mais tu attends un enfant. Tu vas devoir apprendre à faire passer ses besoins avant tes désirs.

— Je ne veux pas être une mauvaise mère, gémit Amelana. Mais peut-être ne saurai-je pas en être une bonne.

— Mais si, tu le sauras, dit Ayla, qui prenait la parole pour la première fois. Surtout quand tu seras chez toi avec ta mère. Elle t’aidera. Et même si tu n’avais pas de mère, tu tomberais amoureuse de ton bébé, comme la plupart des mères. C’est ainsi que la Grande Mère a fait les femmes, du moins la plupart d’entre elles, et aussi beaucoup d’hommes. Tu es une personne aimante, Amelana. Tu seras une bonne mère.

La Première sourit.

— Pourquoi ne vas-tu pas préparer tes affaires, Amelana ? dit-elle plus gentiment. Nous partons demain dès les premières lueurs.

 

 

La compagnie se mit en route le lendemain et suivit l’une des trois rivières qui confluaient près de la Septième Caverne des Zelandonii de la Partie Sud. Elle la franchit au Gué du Camp et, au début, longea ses méandres. Puis, pour éviter tous ces détours, elle décida de couper à travers le pays en se dirigeant plus à l’est.

C’était une région entièrement nouvelle pour Ayla et, bien sûr, pour Jonayla, mais celle-ci était si petite qu’il était peu probable qu’elle se souvienne plus tard d’être passée par là. Jondalar ne la reconnaissait pas non plus, bien qu’il y fût venu avec Willamar et sa mère ainsi que les autres enfants de Marthona. Jonokol n’avait pas beaucoup voyagé et le pays lui était donc également inconnu. Quant à Amelana, elle ne se rappelait rien de la région, alors qu’elle l’avait traversée en venant de sa Caverne du Sud, mais à l’époque elle ne prêtait attention à rien. Son esprit était alors entièrement occupé par son nouveau compagnon, qui semblait ne pouvoir se passer d’elle, et elle rêvait de son nouveau foyer. La Première était venue plusieurs fois dans les parages, mais jamais bien longtemps, et elle ne s’en souvenait que vaguement. Le Maître du Troc, lui, connaissait bien la région. Il y avait déjà emmené ses deux aides, qui cependant ne la connaissaient pas encore aussi bien que lui. Willamar cherchait des points de repère pour se guider.

Le paysage changeait chaque jour de façon subtile. Ils prenaient de l’altitude et le terrain devenait plus accidenté. Les affleurements calcaires se faisaient plus fréquents, souvent accompagnés de taillis et même de petits bois qui poussaient alentour, et les herbages plus rares. Malgré l’altitude plus élevée, la chaleur augmentait, l’été avançant, et la végétation se modifiait tandis que se poursuivait leur progression vers le sud. Ils voyaient moins de conifères, épicéas, sapins ou genévriers, et plus d’arbres à feuilles caduques comme le mélèze et d’espèces à petites feuilles telles que le saule et le bouleau, ainsi que des arbres fruitiers et, de temps à autre, des érables à grosses feuilles et des chênes. Même les herbes changeaient : moins de seigle et plus de graminées de la famille du blé, comme l’épeautre, mais elles étaient souvent mélangées et le triticale côtoyait de nombreuses plantes herbacées.

Ils chassaient le gros et le petit gibier varié qu’ils croisaient en chemin et cueillaient les plantes qui poussaient abondamment en cette période de l’année, mais tout cela avec modération car ils ne songeaient pas à faire de réserves. Hormis Jonayla, c’étaient tous des adultes, pleins de santé et capables de trouver leur nourriture et de subvenir à leurs besoins. La grosse femme ne chassait ni ne cueillait, mais, en tant que Première, elle apportait sa contribution. Elle marchait une partie du temps, et plus elle le faisait plus elle était ingambe, mais quand elle se fatiguait, elle montait sur le travois et ne les ralentissait pas. C’était surtout Whinney qui tirait le travois, mais Ayla et Jondalar dressaient les autres chevaux à le faire aussi. Même s’ils se déplaçaient assez lentement pour que les chevaux puissent paître en chemin, surtout le matin et le soir, ils avançaient bien et, le temps restant agréable, ils avaient l’impression de faire une excursion.

 

 

Ils se dirigeaient depuis plusieurs jours vers le sud-est quand, un matin, Willamar prit la direction plein est, poussant parfois vers le nord, comme s’il avait suivi une piste. Ils grimpèrent autour d’une corniche en surplomb et, derrière, virent effectivement une piste, mais à peine assez large pour les longues perches du travois de la Première.

— Peut-être devrais-tu marcher, Zelandoni, dit Willamar. Ce n’est plus très loin.

— Oui, je vais marcher. Si je me souviens bien, plus haut la piste se rétrécit encore.

— Il y a un endroit assez large après la prochaine courbe. Il serait peut-être bon que tu y laisses le travois, Ayla, suggéra Willamar. Je ne crois pas que la piste lui permette de passer.

— Les travois s’accommodent mal des pistes escarpées. Nous l’avons appris à nos dépens, dit-elle en jetant un coup d’œil à Jondalar.

En arrivant à l’élargissement, ils aidèrent la doniate à descendre du travois et entreprirent de le décrocher. Puis ils continuèrent leur ascension, Willamar en tête. Ayla, Jondalar et Jonayla fermaient la marche avec les bêtes.

Ils franchirent encore quelques traverses du sentier en zigzag et une montée raide puis se retrouvèrent soudain sur une saillie herbeuse relativement large sur l’arrière de laquelle, au milieu de la fumée de quelques feux, se trouvait un ensemble d’abris assez spacieux faits de bois et de peaux et couverts de chaume. Devant, une foule de gens faisait face aux visiteurs, mais Ayla n’aurait su dire s’ils étaient contents de les voir arriver. Ils semblaient sur la défensive, aucun ne souriait et certains tenaient des lances, sans pourtant viser personne.

Ayla avait déjà assisté à ce genre de réception et elle fit discrètement signe à Loup de rester à proximité. Elle l’entendait gronder légèrement tandis qu’il marchait devant elle pour la protéger. Elle regarda Jondalar, qui s’était placé devant Jonayla bien qu’elle s’efforçât de voir ce qui se passait. Les chevaux caracolaient nerveusement, les oreilles pointées en avant. Jondalar serra plus fermement les longes de Rapide et Grise et jeta un coup d’œil à Ayla, qui posa la main sur l’encolure de Whinney.

— Willamar ! lança alors une voix. C’est bien toi ?

— Farnadal ! Bien sûr que c’est moi, et quelques autres, la plupart de la Neuvième Caverne. Je savais que tu nous attendais. Kimeran et Jondecam sont déjà là ?

— Non, pas encore. Ils devraient être arrivés ?

— Ils vont venir ? interrogea une voix féminine sur un ton joyeux.

— Nous pensions qu’ils seraient déjà là. Pas étonnant que tu aies l’air si surpris de nous voir.

— Ce n’est pas toi que je suis surpris de voir, dit Farnadal, sardonique.

— Des présentations s’imposent, dit Willamar. Je commencerai donc par la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Terre Mère.

Farnadal en resta bouche bée, puis se reprit et s’avança. En y regardant de plus près, il la reconnut à son allure et à ses tatouages. Il l’avait déjà rencontrée, mais cela faisait un certain temps et tous deux avaient changé depuis.

— Au nom de Doni, tu es la bienvenue, Zelandoni la Première, dit-il.

Il lui tendit les deux mains et continua ses salutations. Les autres voyageurs furent présentés à leur tour, Jondalar et Ayla en dernier.

— Voici Jondalar, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, Maître Tailleur de Silex… commença le Maître du Troc.

Vint le moment de présenter Ayla :

— Et voici Ayla, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, auparavant du Camp du Lion des Mamutoï… prononça Willamar.

Il remarqua que Farnadal changeait d’expression à l’énoncé de ses noms et liens de parenté, et plus encore lorsqu’elle le salua et qu’il l’entendit parler.

Ces présentations lui en avaient appris beaucoup sur elle. D’abord, c’était une étrangère, ce qui ressortait avec évidence quand elle prenait la parole, une étrangère adoptée de plein droit en tant que Zelandonii à part entière et pas seulement unie à un Zelandonii, ce qui, en soi, était inhabituel. De plus, elle faisait partie de la Zelandonia et était devenue acolyte de la Première. Et bien que l’homme tînt les longes de deux chevaux et les maîtrisât, c’était à elle que revenait la responsabilité de toutes les bêtes. De toute évidence, elle exerçait un ascendant sur l’autre cheval et sur le loup, même sans se servir de cordes. Il lui semblait qu’elle aurait déjà dû être une Zelandoni, et pas seulement un acolyte, même de la Première.

Puis il se souvint qu’un an plus tôt une troupe de conteurs itinérants étaient venus et avaient raconté de folles histoires de chevaux portant des gens et d’un loup qui aimait une femme, mais il n’avait jamais imaginé qu’il y eût quelque vérité dans tout cela. Et maintenant, il les avait sous les yeux. Il n’avait pas vu les chevaux porter les gens, mais commençait à se demander quelle part de vérité contenaient ces histoires.

Une femme de haute taille, à qui Ayla crut trouver un air familier, s’avança et demanda à Willamar :

— Tu as dit que tu t’attendais à voir ici Jondecam et Kimeran ?

— Voilà longtemps que tu ne les as vus, n’est-ce pas, Camora ? répondit Willamar.

— Oui.

— Tu leur ressembles, surtout à ton frère, Jondecam, mais aussi à Kimeran.

— Nous sommes tous apparentés, dit Camora avant d’expliquer à Farnadal : Kimeran est mon oncle, mais il était beaucoup plus jeune que sa sœur, ma mère. Quand la mère de ma mère a rejoint les Esprits du Monde d’Après, ma mère l’a élevé comme un fils en même temps que Jondecam et moi. Puis, quand son compagnon est passé dans le Monde d’Après, elle est devenue une Zelandoni. C’est de famille, son grand-père était aussi un Zelandoni. Je me demande s’il est toujours de ce monde ?

— Oui, et bien que l’âge ait ralenti son pas, il est toujours Zelandoni de la Septième Caverne. Ta mère est maintenant Zelandoni de la Deuxième, répondit Willamar.

— Celui qui était Zelandoni de la Deuxième Caverne avant elle, celui qui m’a appris à peindre, marche maintenant dans le Monde d’Après, ajouta Jonokol. Ce fut pour moi un jour sombre, mais ta mère est une bonne doniate.

— Pourquoi pensais-tu que Kimeran et Jondecam seraient ici ? s’enquit Farnadal.

— Ils devaient partir peu après nous et venir directement ici. Nous avons fait des haltes en chemin, expliqua la Zelandoni Qui Était la Première. J’emmène Ayla faire son Périple de Doniate et Jonokol aussi… je devrais dire « Zelandoni de la Dix-Neuvième ». Quand il était mon acolyte, nous n’avons jamais vraiment fait de Périple et il lui faut visiter certains des sites sacrés. Nous allons tous ensemble voir l’une des plus importantes grottes peintes. Elle se trouve au sud-est du territoire des Zelandonii et nous rendrons ensuite visite aux parents de Beladora, la compagne de Kimeran. C’est une Giornadonii, le peuple qui vit sur la longue presqu’île qui avance dans la Mer Méridionale, au sud du territoire oriental des Zelandonii. Jeune homme, Kimeran se déplaçait avec sa sœur-mère quand elle a effectué son Périple de Doniate dans la partie septentrionale du territoire des Giornadonii. Il a rencontré Beladora, en a fait sa compagne et l’a ramenée avec lui. L’histoire est semblable à celle d’Amelana, remarqua la Première, désignant la jolie jeune femme qui faisait partie de son groupe, mais l’histoire de cette jeune femme est bien moins heureuse. Son compagnon marche maintenant dans le Monde d’Après et elle a souhaité retourner auprès des siens. Sa mère lui manque. Elle porte en elle une vie nouvelle et aimerait être près de sa mère quand son enfant naîtra.

— Ça se comprend, dit Camora en adressant un sourire de sympathie à Amelana. Aussi gentils que puissent être les gens, une femme a toujours envie d’être auprès de sa mère quand elle accouche, surtout la première fois.

Ayla et la Première échangèrent un rapide coup d’œil. Camora se languissait sans doute des siens. Même si une femme trouvait un visiteur séduisant au point de partir avec lui, il n’était apparemment pas facile de vivre avec les étrangers qui étaient les parents de son compagnon. Même s’ils appartenaient au même territoire, avaient des croyances et des coutumes similaires, chaque Caverne possédait ses propres façons de faire et une nouvelle venue était toujours dans une position désavantageuse.

Ayla constatait que sa situation n’était pas la même que celle des deux jeunes femmes. Bien qu’elle fût appelée Ayla des Mamutoï, elle avait été pour eux plus une étrangère que pour les Zelandonii, et eux avaient été des étrangers pour elle. Une fois le Clan quitté, elle avait espéré trouver des gens comme elle, mais elle n’avait pas su où les chercher. Elle avait vécu seule dans une agréable vallée pendant plusieurs années jusqu’au jour où elle était tombée sur Jondalar, qui avait été blessé par un lion. En dehors de lui, les Mamutoï avaient été les premiers dans son genre qu’elle ait rencontrés depuis la perte de sa famille à l’âge de cinq ans. Elle avait été élevée par le Clan, dont les membres n’étaient pas seulement des gens d’une Caverne ou d’un territoire différents, n’ayant pas les mêmes cheveux, les mêmes yeux, la même peau, ou parlant une langue inconnue. Les membres du Clan n’étaient vraiment pas comme les autres. Ils avaient des capacités d’expression particulières, leur façon de penser, la manière dont leur cerveau fonctionnait étaient inhabituelles, même la forme de leur tête et, dans une certaine mesure, leurs corps n’étaient pas tout à fait les mêmes.

Ils étaient sans aucun doute des humains et il y avait beaucoup de similitudes entre eux et ceux qu’ils appelaient les Autres. Ils chassaient les animaux du voisinage et pratiquaient la cueillette. Ils façonnaient des outils de pierre et s’en servaient pour fabriquer d’autres choses – vêtements, récipients, abris. Ils prenaient soin les uns des autres ; ils s’étaient même rendu compte qu’Ayla était une enfant lorsqu’ils l’avaient trouvée et s’étaient occupés d’elle bien qu’elle fît partie des Autres. Mais ils étaient différents en certaines manières qu’elle n’avait jamais pleinement comprises, alors qu’elle avait grandi parmi eux.

Même si elle éprouvait de la sympathie pour les deux jeunes femmes qui vivaient loin de leurs proches et se languissaient d’eux, elle ne comprenait pas tout à fait ce qu’elles ressentaient. Du moins vivaient-elles avec leurs semblables. Elle se félicitait d’avoir trouvé des gens semblables à elle et surtout, parmi eux, un homme qui était attaché à elle. Elle n’arrivait même pas à exprimer avec des mots combien Jondalar comptait pour elle. Elle n’aurait pu espérer mieux. Non seulement il lui disait qu’il l’aimait, mais il la traitait avec amour. Il était gentil, généreux, adorait sa fille. Sans lui, elle n’aurait pas été capable de devenir acolyte, de faire partie de la Zelandonia. Il subvenait à ses besoins, s’occupait de Jonayla quand elle n’était pas là, alors qu’il aurait préféré qu’elle reste avec lui, et il lui apportait une joie incroyable quand ils partageaient les Plaisirs. Elle avait en lui une confiance tacite et totale et n’arrivait pas à croire en sa chance.

Camora regarda la Zelandoni Qui Était la Première.

— Crois-tu qu’il ait pu arriver quelque chose à Kimeran et Jondecam ? demanda-t-elle, les sourcils froncés. Un accident est toujours possible.

— Oui, Camora, mais il se peut aussi qu’ils aient été retardés et ne soient pas partis aussi vite qu’ils le prévoyaient. Ou qu’il se soit passé quelque chose à leur Caverne qui les ait amenés à changer d’avis et à décider de ne pas partir. En ce cas, ils n’auraient aucun moyen de nous prévenir. Nous allons attendre ici quelques jours, si cela ne dérange pas Farnadal, dit-elle en lui jetant un coup d’œil qui lui fut retourné aussitôt avec un sourire et un hochement de tête, avant de poursuivre notre périple pour leur laisser la possibilité de nous rattraper.

— Peut-être même pouvons-nous faire davantage, ajouta Jondalar. Les chevaux sont beaucoup plus rapides que les hommes. Nous pouvons les monter et suivre la piste en sens inverse pour tenter de les trouver. Nous y parviendrons peut-être s’ils ne sont pas trop loin. Du moins pouvons-nous essayer.

— Bonne idée, Jondalar, admit Ayla.

— Ils vous portent donc bien sur leur dos comme l’ont dit les conteurs ? s’étonna Farnadal.

— Les conteurs sont venus ici récemment ? s’enquit Ayla.

— Non, il y a environ un an. Mais je croyais qu’ils avaient inventé ces histoires extraordinaires. J’ignorais qu’elles étaient vraies.

— Nous partirons demain matin, décréta Jondalar. Il est trop tard, maintenant.

 

 

Tous ceux de la Caverne qui le pouvaient s’étaient rassemblés au bas de la pente qui menait à la corniche sur laquelle ils habitaient. Ayla et Jondalar avaient attaché des couvertures de monte et les paniers contenant provisions et matériel de bivouac aux trois chevaux, passé le licou à l’étalon et à la jeune jument. Puis Jondalar avait hissé Jonayla sur le dos de Grise.

Cette fillette est-elle aussi capable de se faire obéir d’un cheval ? se demanda Farnadal. Toute seule ? Elle est si petite et le cheval est un animal si grand et fort… Et les chevaux devraient avoir peur de ce loup. Chaque fois que j’ai vu un loup s’approcher d’un cheval, il bronchait et s’enfuyait, ou, s’il croyait que l’animal s’apprêtait à l’attaquer, il essayait de le piétiner.

Quel pouvoir magique cette femme possède-t-elle ?

Un frisson de peur le parcourut, puis il se raisonna. Elle semblait normale, parlait avec les autres femmes, participait aux diverses tâches, s’occupait des enfants. Elle était séduisante, surtout quand elle souriait, et hormis son accent il ne lui aurait rien trouvé de remarquable ni même d’inhabituel. Et pourtant, voilà qu’elle saute sur le dos de cette jument louvette !

Il les regarda partir, l’homme en tête, l’enfant au milieu, la femme fermant la marche. L’homme était grand et lourd pour le cheval trapu qu’il appelait Rapide, ses pieds traînaient presque par terre quand il chevauchait sa monture brun foncé, couleur inhabituelle qu’il n’avait encore jamais vue. Mais lorsque les bêtes se lancèrent dans un trot rapide, il se recula sur le dos du cheval, remonta les genoux et serra les flancs de l’étalon avec ses jambes. La fillette montait très en avant, presque sur l’encolure de la jeune jument grise, ses petites jambes en équerre. La robe brun-gris du cheval était elle aussi d’une nuance inhabituelle, bien qu’il l’ait déjà vue quand il s’était rendu dans le Nord. Certains appelaient « grouya » cette couleur, Ayla disait simplement « grise » et c’était devenu le nom de la jument. Peu après leur départ, le trot rapide se mua en galop. Sans entraves telles que le travois, les chevaux aimaient courir jambes tendues, surtout lors des chevauchées matinales. Ayla se penchait sur l’encolure de Whinney pour faire comprendre à la jument d’aller aussi vite que possible. Loup glapissait et participait à la course. Jondalar se penchait lui aussi, genoux fléchis contre les flancs de l’animal. Jonayla se tenait d’une main à la crinière de l’animal et la joue appuyée sur le haut de son encolure, l’autre bras passé autour, elle regardait devant du coin de l’œil. Le visage fouetté par le vent, cette chevauchée effrénée était grisante et les cavaliers laissaient les chevaux galoper à leur gré et y prenaient plaisir.

Quand ils eurent trouvé leur allure, Ayla se redressa un peu, Jonayla se laissa glisser plus bas sur l’encolure de Grise et Jondalar prit une assise plus droite et laissa pendre ses jambes. Ils se sentaient plus détendus et continuèrent au petit galop. Ayla donna un signal à Loup et lui lança un ordre, « Cherche », qu’il savait vouloir dire : « Cherche les gens. »

La Terre était alors très peu peuplée. Les humains étaient largement dépassés en nombre par des millions d’autres créatures, des plus grosses aux plus petites, et ils avaient tendance à rester étroitement groupés. Quand Loup humait les odeurs portées par le vent, il était capable d’identifier de nombreux animaux différents à diverses étapes de leur vie et de leur mort. Il détectait rarement celle d’êtres humains, mais lorsqu’il le faisait il la reconnaissait.

Les trois cavaliers aussi cherchaient ; ils parcouraient le paysage du regard pour tenter de trouver des signes indiquant que des gens étaient passés par là récemment. Ils ne pensaient pas en découvrir aussi vite, certains que l’autre groupe de voyageurs aurait envoyé un messager s’ils avaient eu des ennuis si près de leur destination.

Vers midi, ils firent halte pour manger et laissèrent paître les chevaux. Quand ils repartirent, ils scrutèrent la campagne plus attentivement encore. Ils suivaient des semblants de pistes : marques de brûlé sur des arbres, branchettes de broussailles courbées d’une certaine manière, parfois un tas de pierres terminé en pointe d’un côté, et, de temps à autre, une marque en ocre rouge laissée sur un rocher. Ils cherchèrent jusqu’au coucher du soleil, puis dressèrent le camp et montèrent les tentes près d’un ruisseau qui avait pris sa source sur les hauteurs.

Ayla sortit des galettes préparées pour le voyage avec des myrtilles séchées, de la graisse fondue et de la viande séchée pilée en petits morceaux, elle les brisa dans l’eau bouillante et ajouta encore de la viande séchée à cette soupe. Jondalar et Jonayla allèrent marcher dans la prairie voisine et l’enfant revint les mains pleines d’oignons qu’elle y avait trouvés, guidée par leur odeur. Cette zone plate avait été inondée par la crue du ruisseau plus tôt dans la saison et, en séchant, elle s’était prêtée à la croissance de certaines plantes. Ayla pensa y faire un tour le lendemain matin pour ramasser d’autres oignons et tout ce qu’elle pourrait glaner.

Ils se mirent en route le lendemain après avoir fini la soupe préparée la veille, agrémentée de racines et de légumes verts qu’Ayla avait trouvés au cours de sa rapide exploration des parages. Le deuxième jour fut aussi décevant que le premier ; ils ne trouvèrent aucune indication du passage récent d’êtres humains. Ayla repéra les traces de nombreux animaux et les montra à Jonayla en lui faisant remarquer de subtils détails qui indiquaient leurs déplacements. Lorsque, le troisième jour, ils s’arrêtèrent pour le repas de midi, Jondalar et Ayla étaient inquiets. Ils savaient combien Kimeran et Jondecam avaient envie de voir Camora et ils savaient aussi que Beladora tenait beaucoup à rendre visite à sa famille.

Ne s’étaient-ils tout simplement pas mis en route ? Quelque imprévu les avait-il contraints à annuler ou à retarder leur départ ou leur était-il arrivé quelque chose en chemin ?

— Nous pourrions retourner à la Grande Rivière et à la Première Caverne des Zelandonii du Sud pour voir s’ils ont effectué la traversée, suggéra Ayla.

— Jonayla et toi n’avez pas à faire ce long trajet. Je peux y aller seul et vous, vous retournerez avertir tout le monde. Si nous ne sommes pas de retour dans quelques jours, ils vont s’inquiéter, dit Jondalar.

— Tu as sans doute raison, mais continuons à chercher, au moins jusqu’à demain. Puis nous déciderons.

Ils dressèrent le camp tardivement et évitèrent de parler de la décision qu’ils allaient devoir prendre. Le lendemain matin, l’air était chargé d’humidité, des nuages s’étaient formés au nord, le vent était capricieux et soufflait dans toutes les directions. Puis il tourna et se mit à souffler du nord avec quelques fortes rafales, qui rendaient chevaux et humains nerveux. Au cas où le temps changerait, ou qu’ils doivent veiller tard, Ayla emportait toujours des vêtements chauds.

À quelques centaines de kilomètres de là seulement, les glaciers, formés dans le Grand Nord et posés comme une énorme crêpe sur le dessus arrondi de la Terre, présentaient des parois de glace compacte de plus de trois kilomètres de haut. Dans la période la plus chaude de l’été, les nuits étaient d’ordinaire fraîches et même dans la journée le temps pouvait varier brusquement. Le vent du nord apportait le froid et rappelait que même en été l’hiver était le maître du pays.

Mais le vent du nord apportait aussi autre chose. Dans l’affairement du démontage du camp et de la préparation du repas, aucun ne remarqua le changement d’attitude de Loup. Un glapissement, presque un aboiement, attira l’attention d’Ayla. Debout, penché dans le vent, la truffe haute pointée en avant, il avait détecté une odeur. Chaque fois qu’ils avaient levé le camp, elle lui avait donné le signal pour qu’il se mette à la recherche d’êtres humains. Grâce à son odorat extrêmement développé, il avait saisi une petite bouffée apportée par le vent.

— Regarde, mère ! Regarde Loup ! s’écria Jonayla, qui venait également de remarquer son comportement.

— Il a repéré quelque chose, dit Jondalar. Dépêchons-nous de plier bagage.

Ils jetèrent leurs affaires dans les paniers de bât et les attachèrent aux chevaux ainsi que les couvertures de monte, passèrent leur licou à Rapide et à Grise, éteignirent le feu et montèrent en croupe.

— Trouve-les, Loup ! Montre-nous quel chemin prendre, ordonna Ayla en faisant les signaux de main du Clan.

Le loup se dirigea vers le nord, puis infléchit sa course plus à l’est. S’il avait bien senti l’odeur de ceux qu’ils cherchaient, ces derniers étaient sortis de la piste mal tracée, à moins qu’ils n’aient traversé les régions montagneuses orientales pour quelque autre raison. Loup se déplaçait résolument à l’allure bondissante propre à son espèce, suivi par les chevaux, Whinney en tête. Ils continuèrent toute la matinée et laissèrent passer le moment du déjeuner.

À un moment, Ayla crut percevoir une odeur de brûlé, puis Jondalar lui cria :

— Tu as vu la fumée, droit devant ?

Elle apercevait en effet un vague panache de fumée qui montait dans les airs au loin et elle poussa Whinney. Elle tenait Grise par la longe et jeta un coup d’œil à sa fille montée sur la jeune jument pour s’assurer qu’elle était prête à accélérer l’allure. Tout excitée, Jonayla sourit à sa mère. Elle adorait monter seule. Même quand Ayla ou Jondalar voulait par sécurité la prendre sur leur monture parce que la piste était difficile ou pour qu’elle puisse se reposer, l’enfant regimbait, souvent en vain.

En voyant un camp et des gens autour, ils ralentirent à mesure qu’ils s’en approchaient. Ils ne savaient de qui il s’agissait. Ils n’étaient pas les seuls à voyager, et arriver brusquement, montés sur des chevaux, dans le camp d’inconnus risquait de semer la panique.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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